Homélie inaugurable JL1

Homélie de Mgr Abelé lors de l’Ouverture ecclésiale de Jeunesse-Lumière dans la cathédrale de Sénez le 30 septembre 1984


 Tel un père de famille pour sa maisonnée, j’ai pris connaissance de vos lettres de demande de participation à l’école de prière et d’évangélisation de Senez. Avec action de grâces j’ai lu les motivations de vos démarches et j’ai pressenti, entre les lignes, ce que – inconsciemment – vous avez voulu exprimer du rêve d’amour dont vous êtes, les uns et les autres, les porteurs, telle une semence prometteuse.

 Et puis voilà que nous sommes rassemblés ce matin, vous et moi, pour l’Eucharistie inaugurale d’une année commençante. C’est au siège épiscopal d’un ancien évêché que l’Esprit Saint nous attendait, vous, venus d’un peu partout de l’Hexagone et même d’au-delà des océans, et moi, évêque successeur des Apôtres de cette portion de territoire, il y a deux cents ans évêché encore vivant d’un peuple montagnard courageux. Et puis, soudain – il y a de cela 195 ans – une révolution changeait le cours de l’histoire de cette Église particulière, rayant de la carte l’évêché de Senez.

 Or, c’est ici et non ailleurs, que Dieu nous veut présentement dans cette cathédrale désertée depuis deux siècles, afin que jaillisse à nouveau un souffle de prière et d’évangélisation à l’aube naissante de l’an 2000 déjà tout proche.

 Et d’abord une école de prière parce que les hommes de ce temps on par trop délaissé la contemplation et que dès lors nous nous trouvons « en perte de substance » et donc « en crise de la foi », non d’aguerris pour en subir l’épreuve. Le retour de la prière est amorcé, il éclate de partout comme une respiration de l’âme enfin libérée de « l’esprit du monde ».

 Vous aurez à perpétuer le chant du peuple de Dieu à son Créateur : louanges, action de grâces, adoration. Comme Jésus il vous faudra être tellement imprégnés de la présence du Père que celle-ci soit ressentie de l’intérieur, non attendue, programmée ou subie de l’extérieur. 

Appuyés sur le roc de la prière vous serez aussi école d’évangélisation. La question à résoudre ne sera pas celle comment enseigner, mais du comment vivre. Là sera votre différence essentielle.

 En vous voyant, ici devant moi, petite poignée de priants et de serviteurs de l’Évangile, j’ai le pressentiment, comme au siècle de François d’Assise, de voir en vous les apôtres d’une proposition nouvelle de l’Évangile comme moyen d’exister chrétiennement dans l’instant. Le christianisme n’existe pas pour être reçu ou récité, il ne peut être qu’une insufflation sur les chemins du monde comme sur celui d’Emmaüs où les coeurs étaient brûlants et les esprits déliés au sens des Écritures.

 L’annonce de la Bonne Nouvelle qui émanera de vos personnes pour s’adresser aux hommes de ce temps ne pourra être que l’expression d’une tradition orale dans le mouvement et le chant de la vie. Là sera l’originalité propre de votre école de croyants, d’orants et d’apôtres. On apprend jamais rien à quiconque, on donne cela même qui vous fait vivre… la foi est comme la sève dans la nuit de l’arbre. Hors de la vie, il n’y a rien ! Si les mots ne manquaient pas les choses, il n’y aurait plus rien à dire depuis longtemps ! Dérision du langage humain que de n’être qu’une approche, une facette, une pépite ! Seul le Verbe, souligne Jean Sulivan ne manque pas Dieu, encore que le mot ultime parle d’abandon, sur une croix !

 Devenez des hommes et des femmes qui soient les témoins d’une parole vivante venue du souffle de Dieu.

 Soyez épiphanie ruisselante de l’amour même de Dieu, et s’il le fallait jusqu’au sang répandu ! Que votre formation ne soit livresque que pour ce qui est nécessaire à l’humaine nature, à l’honneur de la raison et à la gloire de l’intelligence créée.

 Pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel, apprenez de ce terroir-là la communication, profonde, subtile et pour tout dire « spirituelle ». De même que les femmes de chez nous se transmettent et perfectionnent l’art de la cuisine en des spécialités de pays, aux secrets savoureux, de même les hommes se sont transmis en les perfectionnant laborieusement par des secrets de métier, l’art du labour, l’art des façons culturales, l’art de vivre dans la rudesse éprouvante des forêts, des alpages, ou comme à Nazareth, l’art de vivre au village.

 Ainsi, dans une alchimie mystérieuse, au feu de la braise « paysanne », le peuple le plus simple transmet-t-il, et d’âge en âge perfectionne-t-il, un art d’écouter Jésus-Christ, un art de vivre l’Évangile au sein du tissu de l’histoire des hommes et de leur temps.

 Oui, il nous faudra tirer des conclusions de la mobilité de notre civilisation, laquelle engendre sans cesse des secteurs nouveaux à évangéliser. Prisons ou hôpitaux sont des lieux où une part importante de nos concitoyens passe un temps réel de leur brève existence.

 Au temps de Jésus, lépreux, pécheresses, publicains, malades accouraient auprès du Rabbi Seigneur. Aujourd’hui c’est aux apôtres laïques, en raison même de leur sacerdoce baptismal, auquel revient la mission d’évangéliser jusqu’en ces lieux retirés et spécialisés.

 Et que dire des étudiants écoliers, troupeaux sans pasteurs ! C’est pour ses brebis que vous serez bientôt envoyés pour l’évangélisation des rues, places, plages ou marchés, bref partout où « ça bouge ». Là, sera pour vous, l’Église à faire naître, la sera l’Église à planter.

 Jamais sans doute depuis Saint-Martin l’Eglise de France ne s’est trouvée devant un choix et une tâche missionnaire aussi amples pour l’avenir de l’Évangile. La parole de Dieu et son annonce cesse d’être le privilège de quelques spécialistes savants ou pasteurs.

 Comme le Poverello d’Assise il vous reviendra de désigner à la face du monde moderne la personne de Jésus. Souvenez-vous alors que l’Évangile de la Bonne Nouvelle a toujours partie liée avec la personne du prophète qui parle avec ses gestes, avec son regard et jusque par le souffle de sa respiration. N’oubliez pas que l’Évangile est destiné à être proposé puis mangé ; qu’il est fait pour devenir nous-mêmes « chair et sang » ; qui doit être sans cesse réinventé, rejoué et qu’il se confond avec notre silence priant d’adoration aussi bien qu’avec la chaleur de notre voix qui dans le ton transparaît.

 Le sens de la parole que vous annoncez, n’est pas d’abord dans les mots ou dans les pensées, encore moins dans les idées. Il traverse de part en part la chair elle-même ! Sachez que dans toutes les langues de tous pays, une parole d’homme est toujours dérisoire, fragile et faible ! Parler à autrui c’est à la fois prodigieuse et… fragile comme un enfant qui n’a que la force de ceux qui l’aiment. La Vérité que vous aurez à annoncer obéit aux lois de l’incarnation, elle est désarmée, pauvre et nue. Elle est un enfant dans une mangeoire, elle survient montée sur un âne, elle pend au gibet d’une croix, elle ressuscite de nuit, elle s’efface silencieusement et se donne dans l’humilité du pain et du vin.

 Évangéliser, c’est aussi prier, seul sur la montagne ; c’est un peu à l’écart, adorer et savourer l’Eucharistie parlée dont aime à nous entretenir le grand évêque Augustin. Oui, il vous faudra apprendre à laisser la Parole se dire « sans artifices », a laisser l’Invisible s’incarner dans le visible, l’Absolu dans le sensible, et rien d’autre !

 Telle est la grande aventure dans laquelle vous entrez ce matin temps en peuplant de votre présence cette cathédrale champêtre, que je qualifierai de « paysanne ». Tenter une expérience pastorale comporte des risques et périls, mais n’est-ce pas un honneur pour un évêque ? Ma présence au milieu de vous, en ce lieu de tradition apostolique épiscopale, vous et quarante de l’assistance « en Église » de l’Esprit saint initiateur.

 Vos évêques respectifs, qui vous savent à Jeunesse- Lumière, vous placent sous la vigilance de l’évêque de Haute-Provence. Quant à moi, frères et soeurs, pour vous et à cause de vous, j’ai décidé de faire confiance à la jeunesse du matin de vos vies, aujourd’hui offerte à Jeunesse-Lumière, pour une année d’école de prière et d’évangélisation.

 Serviteurs de l’Évangile : bonne route sur le chemin de l’Aurore du Ressuscité !

 Que Marie Mère enseignante de l’Église vous instruise…

 Que Saint Dominique et Saint-Vincent, nos évêques fondateurs, tous deux ermites dans les montagnes des environs de Digne, vous soutiennent et qu’ils guident vos pas débutants.

 Que Fontchaude, là-haut, soit votre Nazareth laborieux où vous forgerez, au feu de l’amour de Pentecôte, les armes spirituelles de lumière et de paix pour le salut rédempteur du monde. Je confie Jeunesse-Lumière…. … à Jeunesse-Lumière ! Amen !

 

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